Isaac,
en hébreu, signifie paradoxalement : " Il rira
". Quand donc ? Au futur peut-être
Il n'a
certainement pas pu rire hier, lié sur le bûcher
du Mont Moriah, ni se mettre à rire aujourd'hui dans
un monde menacé de toute part. il n'a pas ri à
l'époque de la génération martyre, qui
a connu Auswitch et Treblinka. Comme Abraham le tout premier
l'éprouva, et comme nous le subirons sans doute jusqu'à
la fin des temps, nous ne faisons jamais que survivre : pris
en étau dans le rapport conflictuel avec autrui, -
Caïn notre aîné n'est jamais loin !
- entraînés par un tourbillon de folie dans les
horreurs de l'histoire, partagés entre ce que nous
pouvons désirer des autres et ce que nous voulons leur
accorder ou leur refuser de nous-mêmes.
Dans l'alternance de ces dons ambigus et
de ces déchirements assurés, durant la tragi-comédie
de notre vie quotidienne, nous connaîtrons aussi, par
brefs éclairs, la clarté sidérante de
la Présence intérieure. Parfois, elle nous est
accordée gratuitement, au cur des angoisses qui
pèsent sur notre dure existence terrestre. Cette sombre
lumière de gloire émane de la véritable
demeure, qui est recluse au fond de notre âme. Elle
nous parvient soudain de ce lieu invisible enfoui en nous,
dont nous sommes les hôtes dans les deux sens du mot
: à la fois recevants, et reçus. Enfin introduits,
selon la formule merveilleuse de Rabbi Na'hman de Bratslav,
" dans la chambre forte du Don immérité
", celle qui s'ouvrit devant Jacob en fuite dans le rêve
de Beth-El, " la demeure d'Elohim ".
Avoir confiance, se fier à D., revient
à cheminer vers ce qui, en nous, sera enfin notre lieu
premier. La vraie demeure de l'Aleph retraite en notre tréfonds,
elle était là au début, elle restera
présente à la fin, quand se seront écroulés
les murs périssables de notre maison charnelle, de
ce vieux Bayith précaire et familier
qu'est notre corps vivant dans ce monde.
L'Aleph est souvent un royaume oublié, presque inatteignable
à partir d'ici. Faire ce chemin-là signifie
accomplir un humble acte de foi, témoigner d'une confiance
ultime en dépit de tout, au défi de notre propre
histoire.
Nous marchons à tâtons vers
un lieu - un non-lieu ? - qui paraît d'abord très
obscur. Lorsque nous réussissons dans quelques instants
privilégiés, notre lent cheminement vers l'intériorité
qui est seule matrice du futur, sans pourtant nous couper
de l'existence extérieure, de la nature et de la société,
et en assumant ce qu'elles ont d'effrayant et de dur, nous
voyons éclore en nous une clarté silencieuse
qui n'est pas une lumière d'objet créé.
Au cours de la montée, dans ce retour aux origines,
c'est la gloire de l'obscur qui devient lumineuse. Par l'effet
de la miséricorde divine, la substance même de
la nuit se mue en rayonnement intime. Alors nous sommes vraiment
chez nous, enfin revenus à la maison, parce que nous
sommes revenus chez Lui, dans la joie des retrouvailles.
L'exemple d'Abraham, comme celui de son petit-fils Jacob-Israël,
nous oriente vers cette patrie ultime si rarement retrouvée
au cours d'une existence terrestre.
Dans ce lieu sans lieu - la vraie souccah des
jours de fête d'automne - notre âme comblée
jouit de la paix, d'un moment de satisfaction réelle
et profonde, fut-ce le temps d'un éclair.
Elle est rentrée dans son foyer où luit, comme
la rosée du matin, la divine présence du père.
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