IMAGES,
SYMBOLES ET MYTHES
« Papa,
raconte-moi une histoire ». Peut-être
ne vous est-il pas souvent arrivé de répondre
à cette demande de vos enfants, et qui commence par
la formule : « Il était une fois... ».
Mais en cherchant bien, rappelez-vous la joie que vous éprouviez
lorsqu’en vous racontant une histoire, votre mère
(grand-mère ?) vous plongeait dans un univers tellement
différent... inimaginable, en réalité
!
« Il était une fois
... ». Pourquoi aborder ce thème
aujourd’hui ? Pour deux raisons.
D'abord à cause de la sinistrose ambiante
qui décourage non seulement tout élan créateur,
mais toute possibilité d'être confiant. Ensuite
parce que sous couvert de liberté, la pensée
française aussi est dogmatique, avec la peur des sectes
cachée derrière chaque boudoir.
Le totalitarisme de l'Université génère
des approches inquisitoriales et persécutrices. Aujourd’hui
encore, Jung (*) est maltraité par la « pensée
unique ». Nous ne tolérons les images que comme
divertissement.
L'imaginaire n’est pas une simple névrose.
Il existe naturellement un imaginaire sain, dans la création
artistique, par exemple, et qui se manifeste par des processus
de guérison (cf. tout le travail de Jung sur les mandalas,
figurations abstraites orientales qu’il a retrouvées
sans les connaître d’abord). Jung a eu le mérite
de montrer que l’imaginaire émergeant de l’inconscient,
c’est la part de tous.
Les structures de l’imaginaire sont
liées à l’anthropos, à la représentation.
Il n’existe pas de structures pensées par une
pensée absolue et abstraite qui nous structurerait
de l’extérieur. Le matériau crée
l’outil, l’organe. Le marbre dicte une structure,
le bronze aussi. Michel-Ange désemprisonnait la matière
: son bloc de marbre contenait « Les Captifs ».
Les éléments dictent les matériaux. Les
matérialités dictent les structures. Il en va
de même pour nos structures intimes.
Le mythe est le langage du symbole. Il est
de la même catégorie que le langage musical et
iconographique.
C'est le mythe de Prométhée
qui préside encore aujourd’hui à notre
civilisation industrielle, mais plus pour longtemps sans doute
car il y a des cycles du mythe, avec des éclipses et
des explosions du mythe. Or que fit Prométhée
? Il vola le feu du Ciel pendant que sa femme Pandore (nom
qui signifie « tous les dons ») ouvrait la boîte
qu’elle avait reçue en cadeau des Dieux avec
la recommandation expresse de la tenir close : « tous
les dons » s’envolèrent ; ce qui est «
acquis »(*) par l’extérieur sans pénétrer
notre intériorité, sans parcourir notre labyrinthe
intérieur, ne crée pas de relations entre les
hommes, mais les oppose dans des rapports de force.
Adopter une position plus systémique
prenant en compte toutes ces racines et permettre le regroupement
des contraires, sinon des contradictoires, paraît utile.
Cesser de couper entre les parties du discours anthropologique,
entre l’approche des psychologues et celle des sociologues,
est nécessaire pour réparer le tissu humain.
L’anthropos, l’humanité de l’homme
est indissociablement psychologique (l’homme animal
tout nu, quand il naît) et sociologique (car tout de
suite « habillé » par une mère).
Nous couper de ces racines nous met en exil
de nous-mêmes et nous amène à porter sur
le monde et sur les problèmes à résoudre
le seul regard du conquérant, qu’il s'agisse
de s’approprier des marchés, ou celui du dominateur,
lorsqu’il est question de s'occuper des hommes.
On est loin du partage et de la transmission
des connaissances, des savoir-faire, et la transdisciplinarité
disparaît à l’horizon d’improbables
réseaux... On ne peut transmettre que ce que l'on est.
Sinon, c'est de l'érudition, de l’expertise et
on transmet bien mal.
La responsabilité ne joue plus, car la culpabilité
est maîtresse du jeu. On cherche partout des coupables...
La responsabilité n’est pas l’absence de
charge... Etre responsable, pour l’entreprise, c’est
aussi intégrer le contexte « invisible »
auquel elle appartient et qu’elle génère.
C’est donc s’engager au-delà de ses savoir-faire.
Rendre
visible l’invisible.
Dans les mythes et les contes, souvent, le
héros se voit contraint de sortir de son état
douillet pour se rendre dans un monde inconnu à la
recherche d’un objet connu (par exemple le feu, comme
Prométhée qui va dérober le feu aux Dieux).
Parfois, il y est obligé, ce n’est pas un acte
volontaire, ce qui n’exclut pas le choix. Il cherche
alors à s’équiper le mieux possible pour
réussir sa mission, et il va faire des rencontres étranges.
Au-delà de l’apparente naïveté
de la main tendue du héros à des personnages
ridicules ou monstrueux (grenouilles, sorcières, singes,...),
il s’agit pour lui de discerner au coeur de ce qui paraît
absurde et monstrueux, l’expression même d’une
sagesse subtile, capable de qualités invisibles aux
yeux du commun des mortels.
Il y a trois phases dans le conte :
- la préparation,
- le temps de l’action,
- le couronnement.
La phase de préparation
est la plus importante, et nécessite pour le héros
de choisir des outils symboliques (jeu des couleurs, des éléments
naturels - forêt, lac, montagne - des animaux, des nombres),
et d’accepter la rencontre avec ces personnages étranges,
pour ne pas dire étrangers à sa norme habituelle,
non conformes, mais détenteurs de l’essentiel,
qui comme chacun sait « est invisible pour les yeux
...». Il s’agit ici d’exercer (au sens propre
: de s’exercer à) un discernement. Cette préparation
prend souvent la moitié du récit. C’en
est la phase clé.
Le temps de l’action,
celui des épreuves avec son cortège d’attaques
et de parades, captive, fascine, favorise l’identification
de l’auditeur.
La troisième étape, qui couronne
le héros et condamne les anti-héros, apporte
la satisfaction à l’auditeur, et a un rôle
exemplaire. Dans cette troisième et dernière
phase, l’absence d’arrogance du héros,
son humilité, sont remarquables. Il ne pérore
pas.
Il EPOUSE (res-ponsabilité vient de
RES SPONSA : épouser la chose) la princesse promise
(son féminin, sa dimension créatrice, sa capacité
à s’enfanter lui-même à chaque instant),
et le récit se termine par un banquet, hautement symbolique,
c’est-à dire par un partage. Le héros
convie son entourage, et chacun d’entre nous, à
partager sa satisfaction.
A partir de ce moment, il devient le roi
du pays. Il devient celui en qui tous mettent leur confiance
: sa compétence, son autorité naturelle sont
reconnues par tous. Il agit non seulement pour lui-même,
mais pour le bien commun, et il communique sa joie et son
expérience.
A la différence du héros, les anti-héros
veulent tout et tout de suite.
Ils repoussent du pied et malmènent
les personnages, grotesques à leurs yeux, qu’ils
méprisent, et ne voient dans la princesse, que le moyen
pour eux d’accéder au pouvoir royal, ce qui n’est
pas la royauté.
Ils se trompent de cible, ils volent le fruit
au lieu de le devenir : comme dans la Bible, Adam, en mangeant
la pomme, vole le fruit de l’arbre de la connaissance
au lieu de le devenir. « Il se trompe de visée
» : c’est là son « péché
». Le mot « péché » n’existe
pas dans la Bible. Le mot exact est : « erreur de visée
». Cela signifie, dans le mythe biblique, qu’au
lieu d’employer son énergie à verticaliser
son arbre intérieur, il l’étale à
l’horizontale, dans des créations extérieures,
sans avoir conscience des conséquences de cette dispersion.
Bien sûr, nous sommes les héros
et les anti-héros, ainsi que tous les monstres et personnages
faibles et ridicules qui nous font cortège, surtout
face aux décisions que nous avons à prendre.
De notre capacité à leur tendre la main dépend
notre vraie prise de responsabilité. Il arrive même
que dans d’autres histoires, le héros se mette
en marche tout seul...
Donc, il était une fois...
Le vaillant
petit tailleur
Un matin un modeste petit tailleur, s’éveille
et envoie au tapis d’un revers de coupon sept mouches,
sept d’un coup ! Il sent soudain se réveiller
en lui une qualité immense : la bravoure. Cette bravoure
infinie qui l’habite soudain, il ne va plus la quitter,
mais au contraire l’affirmer haut et fort à la
face du monde. Il va commencer par donner corps à cette
bravoure sous la forme d’une devise : « Sept d’un
coup ! » qu’il grave sur une ceinture dont il
va ceindre sa taille pour ne jamais oublier l’homme
qu’il est.
Et voici le petit tailleur qui se met en
route.
Au sommet de la première colline gravie, un redoutable
géant l’attend. Notre tailleur pourrait choisir
d’éviter la confrontation ou tout simplement
regagner sa petite maison. Mais n’est-il pas la bravoure
incarnée ?
C’est lui qui va provoquer le géant,
et une fois dans l’obligation de sauver sa vie, inventer
mille ruses pour déjouer les pièges de son ennemi
et le vaincre. Sur quoi, il gagne ensuite un royaume voisin,
chez un roi qui lui promet la moitié de son royaume
et la main de sa fille à la condition qu’il le
débarrasse des périls menaçants la place
: des géants, des bêtes féroces, etc.
Face à chacune de ces épreuves,
convaincu au fond de lui-même de l’absolu de sa
bravoure, le petit tailleur va vaincre et finira par devenir
roi à son tour.
Or......... Il était
une fois........
Un roi, gardien de l’ordre des choses et qui, voyant
le trouble jeté en son royaume, va demander au héros
de régler le problème. Cette démarche
sera formulée sous la forme d’un but à
atteindre, paraissant à première vue inaccessible.
Mais pas pour notre héros, parce qu’il
offre son entière adhésion à cet absolu,
parce qu’il s’en remet à l’infini
qui réside en son coeur. Et souvent, il y aura une
princesse en mariage.
Par la qualité infinie de son désir,
il accède à cet infini des possibles qui englobe
toute chose et va se manifester sous la forme d’une
intervention magique, d’un pouvoir insoupçonné
et capable de mener le héros jusqu’à son
but.
A l’infini de l’adhésion
du coeur est offert, en réponse, l’infini des
possibles... Telle est la première leçon du
conte.
La structure est celle même de notre
vie. A la lettre.
Le roi n’est autre que cette sagesse
que nous portons tous au fond de nous, en notre coeur. Nous
admettons assez qu’au fond de nous, nous savons ce qu’il
faudrait faire : endosser l’habit du héros qui
se dépasse. C’est encore une métaphore
qui nous parle. Le héros, ce n’est pas Zorro,
ou Superman, c’est chacun de nous, conscient de vivre
sa vie personnelle comme une aventure.
Ce qui nous gêne plus dans le conte, ce sont les fées,
ce côté merveilleux, magique. Erreur ! Si nous
nous mettons de tout notre coeur en quête de notre absolu,
si nous faisons cela, seulement cela, mais de tout notre être,
la porte sur l’infini s’ouvrira et nous aurons
accès à la magie, à l’infini des
possibles qu’il englobe et qui n’est qu’un
niveau supérieur, plus large de la réalité.
En nous, des forces insoupçonnées vont surgir
et balayer les obstacles, les épreuves seront franchies
comme par enchantement, les événements vont
tourner à notre avantage, c’est le trésor
qui nous est acquis. Tout repose sur le fait que la structure
de notre conscience est identique à celle du conte.
La chose a été voulue ainsi, naturellement.
Le conteur met à jour notre structure en s’appuyant
sur celle du conte.
En intégrant la structure du conte, en l’habitant,
nous prenons simplement possession de ce qui est déjà
en nous.
Les principes des choses, les archétypes
sont la réalité des choses. Incarner ces principes,
ces archétypes, c’est révéler à
son être le réel. Le roi nous en fait sa demande.
Tous, nous avons en nous une telle demande du roi, un voeu
essentiel, qui réclame d’être exaucé,
et que nous repoussons du bras parce qu’il vient déranger
notre ordinaire et que nous le pensons inaccessible, un rêve...
Nous avons beau chercher une réponse
pour satisfaire cette demande qui nous oppresse, nous ne la
trouvons pas. Car nous la cherchons là où elle
n’est pas. Nous nous perdons dans l’analyse des
moyens concrets dont nous disposons pour atteindre notre but
et nous n’en trouvons aucun de valable, de logique.
Trop d’obstacles nous en séparent.
La vérité est qu’il existe
toujours une réponse à notre problème
« quelque part » comme on dit. Toute la question
est d’aller chercher la réponse où elle
se trouve, dans ce « quelque part » que j’appelle
l’infini des possibles, qui se situe derrière
le voile que l’on nomme « Inconscient »
et qui nous est généralement masqué sauf
si nous y accédons par la part d’infini qui est
en nous.
Le conte nous aide à prendre conscience
de cet infini qui est en nous, l’infini du coeur, à
l’habiter et à le densifier jusqu’à
le rendre actif. Dès que l’on est parvenu à
élargir sa conscience à l’infini des possibles,
la réponse est là, d’une évidence
éblouissante.
Ecoutez cette histoire...
Il était une fois, un roi du désert qui avait
trois fils. Se sentant mourir, il les réunit et leur
dit: « Je vous donne tous mes biens à une seule
condition : que vous vous partagiez mes dix-sept chameaux
de la manière suivante : une moitié à
l’aîné, un tiers au cadet et un sixième
au benjamin ».
Et il mourut. Les trois fils retournèrent
la question dans tous les sens ; c’était un vrai
casse-tête !
Pas question de couper un chameau en
deux ou trois... Mais l’un d’eux, qui croyait
en la sagesse de son père, eut l’idée
de faire venir un homme qui semblait sage pour régler
le problème. Dès qu’il fut là,
ce fut chose faite : il commença par leur prêter
son chameau, ce qui en faisait dix-huit, il en donna neuf
à l’aîné, soit la moitié,
six au second, soit un tiers, et trois au dernier, soit un
sixième. ceci fait, il récupéra son chameau
et disparut comme il était venu, par enchantement.
Venu de l’infini des possibles, il y était retourné,
le problème réglé.
Notre problème est celui du chameau
invisible : comment élargir notre conscience à
cet infini des possibles, à la réponse cachée,
au chameau invisible ? Par le seul lien qui nous unit à
lui : l’infini de notre adhésion à notre
quête. Ici, le souhait le plus important que tout est
d’exaucer le voeu du père.
Le seul infini dont nous disposons est celui
de notre désir.
Si ce désir contient de l’infini,
alors il est déjà infini. et il attirera immanquablement
à lui la réponse contenue quelque part dans
cet infini qui n’est rien d’autre que l’ensemble
des possibles. Cela demande de dépasser la peur qui
naît de l’oubli : nous vivons dans l’oubli
constant de cette part d’infini en nous, au lieu de
nous en souvenir. Quand nous sommes face à un problème
c’est-à-dire à une situation de souhait
ou de besoin contenant un obstacle, nous nous disons : «
à quoi bon puisque c’est impossible ? »
Mais comme le souhait, le besoin ou le problème
non réglé émane du roi en personne, pas
question qu’il renonce à sa demande. Il continuera
d’exercer sur nous le poids de sa demande, un poids
infini : c’est alors le malaise, l’enfermement,
l’impuissance, la vie gâchée.
En laissant descendre en nous cet infini
qui est à l’origine du besoin, nous créons
en nous un espace d’accueil qui vient s’opposer
à la polarité négative des obstacles.
Alors vient un moment, et ce moment arrive toujours pourvu
que l’on tienne, où un point de rupture est atteint,
c’est le moment de rupture de la polarité négative,
quand la polarité positive qu’a nourrie notre
adhésion infinie annule la polarité négative.
Les mathématiques de l’âme sont alors satisfaites,
le positif et le négatif s’annulent, c’est
la résiliation des tensions, la résolution des
contraires, la réalisation.
Pour conclure, dans la vie comme dans le
conte, le temps de l’action est l’expression de
l’énergie et de l’intelligence des hommes.
En effet, le héros montre par ses actes sa capacité
à ne pas se tromper de « visée »
: il est la cible et la flèche. Atteindre le but, c’est
le devenir. Dans la réalité concrète,
que ce soit dans le domaine professionnel ou dans le champ
personnel, on observe dans l’action (on devrait en tous
cas !...) les fruits du travail préparatoire, d’une
part, et de l’autre, les fruits issus de cette action.
L’action est en effet la confrontation
d’une épreuve avec l’épreuve elle-même.
Agir contient un sacré risque : celui de focaliser
(et dans ce cas il n’y a pas catalyse !) l’aspect
le plus attractif de la vie.
Dans le conte comme dans la réalité,
le temps de l’action ne prend son sens que s’il
amène celui du couronnement. Le conte ou le mythe nous
aide à aspirer à la fusion des énergies,
à la transmutation, à l’accession à
l’authentique royauté qui réside en chacun
de nous.
Dans nos vies concrètes, nous subissons
souvent les contraintes, tandis que le héros du mythe,
lui, se soumet à sa quête. C’est peut être
là toute la différence... En prendre conscience
en intégrant la dimension de notre imaginaire et de
nos contes intérieurs, c’est peut être
cela qui nous aidera à entrer dans la compréhension
du nouveau mythe qui nous attend.
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